Discours de Roch-Olivier Maistre à l'occasion des vœux 2025 de l'Arcom

Publié le 20 janvier 2025

  • Intervention publique

Seul le prononcé fait foi

 

 

Mesdames et messieurs les ministres,

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Mesdames et messieurs les présidents,

Chers amis,

Il fallait bien que ce moment arrivât ! Et voici qu’il est arrivé. D’ici quelques jours, comme disent les magistrats de la Cour des comptes à l’automne de leur parcours, il me faudra « déposer la robe ». Une robe que je me suis bien gardé de porter ce soir !

En ces instants, je ne peux m’empêcher de repenser à « Forrest Gump » quand il nous rappelle au début du film ce précepte quasi « existentiel » : « Maman disait toujours, la vie, c’est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais sur quoi on va tomber ». Et je me dis qu’en définitive j’aurais eu la main plutôt heureuse et beaucoup de chance.

Chance d’abord d’avoir servi pendant près de 45 ans quelques-unes des plus belles institutions de la République. Notre Capitale, la Ville Lumière ; les ors de la rue de Valois, où plane toujours l’ombre d’André Malraux ; la Comédie-Française, premier de nos théâtres nationaux ; la présidence de la République, saint des saints de nos Institutions ; la Cour des comptes, magistrature d’influence s’il en est ; et surtout, l’Autorité indépendante – comment dire ? - peut-être la plus « paisible » ? - de notre paysage administratif : le CSA hier, l’Arcom aujourd’hui.

Chance ensuite, d’avoir croisé dans ma pérégrination au long cours entre les chiffres et les lettres, des personnalités hors du commun. J’ai toujours pensé que le sel de la vie se trouvait dans la rencontre. Et je n’ai pas été déçu. Comment ne pas repenser à toutes ces figures qui ont jalonné et souvent éclairé mon chemin ? Serviteurs exemplaires et dévoués de l’Etat, qui ont su me transmettre les valeurs et l’éthique du service public. Artistes d’exception, aussi flamboyants dans la vie que dans leur art. Figures de notre vie politique nationale : François Léotard, père de la grande loi de 1986 qui porte son nom et dont je n’imaginais pas, jeune conseiller à son cabinet, devoir un jour assurer la mise en œuvre ; et bien sûr le président Jacques Chirac auquel il m’est difficile de ne pas penser ce soir dans ce merveilleux Musée qui porte son nom. Et vous tous, femmes et hommes de communication, femmes et hommes de culture, souvent des compagnons et des amis de longue date, qui ont fait de ces années de navigation sur la mer des médias des années heureuses, assurément « stimulantes » et certainement passionnantes.

Je ne saurais trop ici remercier toutes celles et tous ceux qui ont rendu possible ce bonheur.

Le président de la République d’abord, qui m’a fait l’honneur de me confier cette belle responsabilité. Je lui suis reconnaissant de sa confiance et d’avoir garanti pendant ces 6 années l’indépendance de l’Autorité.

Les parlementaires des deux assemblées et les ministres successifs qui auront porté, accompagné, soutenu, à travers de nombreux textes législatifs, la transformation de l’Institution en lui donnant les moyens de faire face à ses multiples missions.

Les membres du collège ensuite : Nicolas, Nathalie, Jean-François, Carole, Hervé, Benoît, Juliette, Anne, Denis, Laurence, Bénédicte, Antoine et Michèle, à qui je pense souvent tant son départ brutal dans une nuit de Mai nous a tous bouleversés. Chacun, avec vos tempéraments et vos expériences, vous avez permis à notre collégialité de vivre – le mot n’est pas trop fort - et de délibérer au service de l’intérêt général.

Les équipes de l’Autorité enfin : Alban et Guillaume, deux directeurs généraux d’exception ; Frédéric et Pauline, leurs talentueux adjoints ; Marie et Sara, fées de la communication, sans oublier mes deux directeurs de cabinet successifs, Yannick et Justine, fine fleur de la nouvelle génération des serviteurs de l’Etat. A travers vous, chers amis, je veux rendre hommage aux directeurs et à tous les collaborateurs de l’Arcom dont la compétence, le savoir-faire et l’engagement font honneur au service public.

*

1. Au cours des 6 années écoulées, la France des médias et la relation des Français aux médias ont beaucoup changé et la régulation ne pouvait être en reste.

Nouvelle institution, nouvelle gouvernance, nouvelles compétences, nouvelle implantation, l’Autorité s’est au fil des ans transformée pour mieux accompagner nos acteurs et mieux servir les Français. « Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre », l’Arcom s’impose désormais, non comme un simple gendarme, mais comme une autorité de régulation moderne, reconnue et respectée en Europe.

1.1. Elle a en premier lieu conforté et affirmé son indépendance et sa légitimité.

En lisant les souvenirs qu’a récemment publiés Michèle Cotta, j’ai pu mesurer le chemin parcouru depuis 40 ans. Je peux en tout cas témoigner ici que, durant ces 6 années, notre collège aura statué sur chaque dossier en toute impartialité et en toute indépendance aussi bien à l’égard des autorités politiques que des intérêts économiques. Ce fût pour nous une exigence de chaque instant. Notre seule boussole aura été la fidélité aux principes posés par la loi. D’un côté, la liberté de communication, la liberté éditoriale, la liberté d’expression, ces biens si précieux sans lesquels il n’est pas de démocratie. De l’autre, la responsabilité, celle des éditeurs, pour assurer la protection des publics. Sous le contrôle permanent du juge, notre main n’a jamais tremblé, qu’il s’agisse de protéger au quotidien une liberté publique fondamentale ou de rappeler à ses obligations un éditeur défaillant. Loin des pressions et des polémiques, l’Autorité a rempli ses missions, attentive aux attentes de la société, mais assumant que le temps de ses décisions ne soit jamais celui des réseaux sociaux.

1.2. Nous avons en second lieu investi les nouveaux champs de compétence qui nous ont été confiés.

Avec 6 règlements et directives européens, souvent à l’initiative de la France, et une douzaine de lois nationales, l’institution a vu ses attributions s’élargir massivement. Pour épouser son temps, elle a embrassé dans toutes ses dimensions la révolution numérique. L’adoption du règlement européen sur les services numériques, qui doit beaucoup à l’action déterminée de la France, et la désignation de l’Arcom comme autorité de coordination auront à cet égard marqué une étape décisive. Avec ce nouvel horizon, le régulateur s’inscrit dans la belle ambition de bâtir, aux côtés de la Commission et de tous nos homologues européens, un Internet plus sûr et responsable.

1.3. Nous avons enfin accompagné les médias dans leurs mutations.

Déploiement de la radio numérique terrestre, intégration des plateformes de streaming dans le champ de la régulation, renforcement de nos outils de lutte contre le piratage, initiatives renouvelées en faveur de la parité et de la diversité à l’antenne, engagement toujours plus marqué pour l’accessibilité des programmes et la protection des mineurs, contrôle renouvelé du respect du pluralisme, ces années auront été des années de métamorphose.

Certes, tout ne fût pas aisé. Mais l’unité du collège, le savoir-faire des services et le soutien sans faille des pouvoirs publics, ont permis à ce régulateur d’opérer sa mue pour mieux accompagner les opérateurs de notre paysage audiovisuel et surtout dans l’intérêt du public.

*

2. Mais au-delà de ce bilan, je n’oublie pas d’expérience que le service public est une éternelle école d’humilité et que l’histoire n’est jamais achevée. Au moment de transmettre le flambeau, bien des défis demeurent pour les médias, le régulateur et les pouvoirs publics.

2.1. Le premier enjeu, peut-être le plus important à mes yeux, est celui de la liberté.

« Sans la liberté, il n’y a rien dans le monde » écrivait Châteaubriand. J’ai été frappé durant mon mandat par la montée des intolérances, la polarisation du débat public, l’accentuation des clivages, la difficulté à s’écouter et à dialoguer. A travers les interventions auprès de l’Autorité, j’ai parfois vu s’exprimer des positions à l’emporte-pièce. Et j’ai perçu la tentation chez certains de faire jouer à l’Arcom un rôle qui n’est pas et ne doit pas être le sien, celui d’une police de la pensée ou d’un tribunal de l’opinion, en rognant sur notre modèle d’inspiration libérale. Je crois qu’il nous faut y prendre garde. Avec la loi de 1881 sur la liberté de la presse et la loi de 1986 sur la liberté de communication, la régulation des médias écrits et audiovisuels repose dans notre pays sur un équilibre subtil et précieux entre liberté et responsabilité. Veillons ensemble à préserver cet héritage sans prix.

2.2. Le deuxième enjeu, non moins essentiel, c’est celui du pluralisme.

Alors qu’a sonné l’heure du média global, cette question est centrale pour notre démocratie. Nous le savons tous ici, la toute-puissance des grands acteurs du numérique menace nos médias de contenus, presse écrite, radio et télévision, qu’ils soient publics ou privés. Or, il en va de la pluralité des éditeurs, pour éviter les concentrations dans quelques mains, et de la concurrence des idées, pour garantir la vitalité du débat public.

A cet égard, le principal point de vigilance est celui de la robustesse du modèle économique de nos médias. Préserver l’attractivité et la compétitivité de nos acteurs nationaux est - je le redis - un enjeu démocratique et je tiens à saluer la capacité d’innovation de nos éditeurs ici présents pour s’adapter à la transformation de leur environnement.

L’Union européenne ne s’y est pas trompée en adoptant en mai dernier son règlement sur la liberté des médias et les états généraux de l’information ont porté des propositions fortes en la matière. Il y a aujourd’hui une forme d’urgence à agir.

2.3. Le troisième enjeu, c’est enfin celui de la confiance.

Comment laisser perdurer et prospérer la défiance de nos concitoyens à l’égard des médias, la fatigue informationnelle quand ce n’est pas désormais l’exode informationnel ? L’enjeu de la confiance est devenu un véritable défi pour nous tous. Mieux représenter la France dans toute sa diversité, dans toute sa réalité, dans toute sa complexité. Veiller plus que jamais à l’honnêteté, à la rigueur et au pluralisme de l’information. Lutter résolument contre les « ingénieurs du chaos », contre la haine en ligne, la désinformation, le complotisme et les ingérences. Donner toute sa place à l’éducation aux médias et à la citoyenneté numérique. La tâche reste immense.

*

Chers amis,

Dans une semaine, et même si les dossiers de l’institution nous ont et continueront à nous occuper jusqu’à la dernière minute, je quitterai mes fonctions non sans émotion, tant ces années partagées avec vous toutes et tous auront été passionnantes.

Avec Martin Ajdari, à qui je vais transmettre le témoin, je sais que la maison sera entre de bonnes mains et qu’il aura à cœur non seulement de conforter l’institution mais surtout de lui donner un nouvel élan.

Pour l’heure, Pierre Dac me tire par la manche et me rappelle que « les discours les moins longs sont les plus courts ». Il me reste donc à tirer ma révérence en vous remerciant et en souhaitant à chacune et chacun d’entre vous une belle et heureuse année 2025.

Je vais pour ma part suivre à la lettre l’excellent conseil du Candide de Voltaire en m’empressant d’aller « cultiver mon jardin ». Et je vais enfin pouvoir dire à mon tour sans plus aucune retenue : « Mais que fait donc l’Arcom ? » ! Je vous remercie.