Intervention de Martin Ajdari à l'occassion des Assises de la radio

Publié le 05 juin 2025

  • Intervention publique

Seul le prononcé fait foi, 

Mesdames et messieurs, chers amis de la radio,

Bienvenue à ces Assises que nous sommes très heureux d’organiser et merci d’être venus aussi nombreux. Vous connaissez mon attachement à ce média à part, qui est à la fois : un média de masse (avec près de 39 M d’auditeurs quotidien) ; le média de l’intime, de la mobilité ; le média de la proximité (10 M d’auditeurs quotidien des radios locales hexagone et Outre-mer). Et aussi un média de « crise » et de solidarité qui, comme on l’a vu à Mayotte, est le seul qui fonctionne quand plus rien ne marche. Enfin, toujours, un média de confiance en matière d’information.

Autant de spécificités qui font sa force par rapport à des plateformes anonymes, lointaines, où l’algorithme et l’IA se substitue à la voix et à l’animation humaine ; et aussi son prix pour la santé de notre démocratie, laquelle a besoin de médias libres et créateurs de lien là où certains réseaux qualifiés de sociaux vivent de désinformation et d’antagonismes. C’est assurément la source de l’attachement des Français à ce média. Romain Laleix (qui a pris avec talent et détermination la suite d’Hervé Godechot à la présidence du groupe de travail « Radio et audio numérique ») vous présentera les résultats de notre dernière étude intitulée les « Français et la radio », qui confirment la solidité de ce lien.

Pour autant, il ne faut pas se voiler la face : le média radio est contesté dans sa forme traditionnelle (celle de la diffusion linéaire hertzienne). Ce n’est pas une secousse, mais un mouvement en profondeur. Le livre blanc en a parfaitement décrit les causes – la montée en puissance de l’écoute IP – et les conséquences, qui sont les mêmes qu’en télévision : baisse de l’audience cumulée quotidienne (-14,5 points depuis 2003) ; de la durée moyenne d’écoute par auditeur (près de 20 min) ; des recettes publicitaires (de 2% en moyenne par an entre 2012 et 2022).

La « bataille de l’attention » fait rage. Partout. Le recul de l’audience, en particulier chez les jeunes, est une réalité qu’on ne peut nier, mais elle n’est pas une fatalité : après tout, il y a trente ans, certains annonçaient la fin des radios généralistes du fait de la montée en puissance des musicales. Or comme le montre notre étude, la promesse de la radio, faite de proximité, de découverte et d’interactivité n’a pour sa part jamais été aussi actuelle.  Je suis donc convaincu de la nécessité de stratégies de développement, d’adaptation, de complémentarité pour reconquérir de l’audience, des recettes et des marges. Des stratégies offensives qui impliquent d’actionner (tous ensemble) deux leviers principaux :

Le premier, c’est la modernisation de la diffusion, c’est-à-dire la poursuite du déploiement du DAB+. Seul moyen d’augmenter l’offre dans un contexte de saturation de la bande FM ; de garantir l’universalité de la radio (sa gratuité, son accessibilité) ; de maîtriser la distribution (sans intermédiaires, ni captations de revenus ou de données personnelles). Tout en améliorant la qualité du service.

Vos efforts en ce sens produisent leurs fruits : près de 65% de la population hexagonale (et environ 17 000 communes) sont couvertes par au moins un multiplex DAB+. La proportion est similaire pour les autoroutes (7 000 km sur un total de 11 700 km). Le DAB+ se déploie, gagne du territoire, progresse. Je tiens bien sûr à dire à nos amis des radios locales que nous avons bien à l’esprit l’enjeu de la planification locale du DAB+.

Comme vous le savez, le livre blanc a proposé un calendrier en deux temps : créer un environnement favorable à la transition entre 2025 et   2027 ; puis accompagner la transition jusqu’en 2034. Je veux souligner ici que ce calendrier est là pour guider, non pour contraindre, a fortiori dans un contexte économique incertain. Car l’enjeu n’est pas de fragiliser le média radio, mais d’en élargir l’audience.

Dans ce contexte, les inflexions de la stratégie de diffusion récemment annoncées par Radio France, dès lors qu’elles seront confirmées par le Gouvernement dans le cadre du droit d’usage prioritaire des fréquences, seront analysées avec attention, au regard notamment des équilibres du marché.

C’est un mouvement dont on comprend l’intérêt pour l’entreprise, compte tenu de ses missions, de ses priorités et de ses contraintes ; il pourrait aussi être une étape significative de préparation à la transition numérique du secteur. Nous sommes évidemment à la disposition de tous les acteurs et des pouvoirs publics pour éclairer les arbitrages à venir, avant de nous prononcer précisément sur les demandes qui nous seront adressées, conformément à la loi et la jurisprudence du Conseil d’Etat.

Une chose est sûre : nous devons accélérer sur les deux principaux prérequis identifiés dans le livre blanc, à savoir :

La notoriété : 28% des Français ont entendu parler du DAB+, et seuls 11% savent de quoi il s’agit. Le compte n’y est pas. Ce n’est pas une critique : le DAB+ n’est pas facile à vendre au grand public qui n’en perçoit pas l’urgence ou la nécessité. C’est donc à nous tous – radios publiques et privées, régulateur, pouvoirs publics nationaux et locaux, associations (et bien sûr l’association « Ensemble pour le DAB+ ») - d’aller au-devant des auditeurs pour intensifier ce travail de pédagogie.

L’autre prérequis, c’est l’équipement. 25% des auditeurs sont équipés d’une radio DAB+ ; et seulement 18 % des détenteurs d’un autoradio. La proposition de loi Lafon, qui prévoyait d’imposer la commercialisation d’équipements compatibles avec le DAB+, est toujours en suspens. Mais quel que soit l’issue de sa discussion à l’Assemblée, nous aurons besoin de ces dispositions, et j’espère que l’examen du projet de loi EGI pourra (le cas échéant) offrir une alternative très proche.

Enfin, pour améliorer le pilotage de ces deux chantiers (diffusion et équipement) et pour peser dans le débat public, nous allons créer un groupe de suivi du livre blanc de la radio, avec la DGMIC et  « Ensemble pour le DAB+ » dont la première réunion se tiendra avant l’été.

Le second levier de développement, c’est l’adaptation de l’environnement règlementaire et économique du média radio. Nous serons attentifs à trois sujets :

D’abord, celui des mentions légales dont chacun s’accorde à reconnaître les limites dans leur format actuel. Il ne s’agit pas de renoncer à l’objectif de protection du consommateur, qui est une contrepartie incontestable de l’utilisation du domaine public hertzien. Mais de trouver une manière moins pénalisante pour tous d’atteindre ces objectifs.

Un rapport de plusieurs inspections ministérielles, rendu public il y a quelques semaines, envisage la suppression de certaines de ces mentions, en la conditionnant à une information suffisante du consommateur en ligne. Jouer ainsi sur les complémentarités entre les supports me semble une idée très intéressante, que j’encourage les éditeurs à approfondir, en étant force de proposition. Nous soutiendrons de notre côté toute initiative législative qui permettra d’alléger ces mentions, sans en rabattre sur les objectifs de politique publique.

Je partage aussi l’inquiétude suscitée par la transposition de l’article 8 de la directive sur le crédit aux consommateurs, qui pourrait se traduire par un alourdissement des mêmes mentions légales. Cette même directive prévoit pourtant la possibilité d’adapter la mention au format de la radio et je ne vois aucune raison de sur-transposer (comme on dit) ; vous pouvez compter sur l’Arcom pour porter ce message.

Deuxième sujet : les règles d’exposition de la musique à la radio, sachant que la radio est et reste un grand média de découverte de talents de la chanson francophone. La promotion de la diversité musicale est d’ailleurs une des missions que la loi nous confie, et les quotas en constituent un levier essentiel.

Toutefois, face à la rapidité de l’évolution des usages en matière de découverte, de prescription et d’exposition des œuvres musicales, il nous est apparu opportun, avec le CNM, d’engager une démarche conjointe. Car nous partageons un même constat : la nécessité de repenser, ou de mettre à jour, le cadre dans lequel s’organisent la découverte, l’exposition et l’éditorialisation des œuvres musicales, dans tous les médias – TV et radio publics et privés, plateformes numériques gratuites et payantes. Et de s’assurer que nos dispositifs de soutien et de régulation demeurent pertinents dans un contexte qui a beaucoup évolué.

Les contours de cette réflexion collective et ouverte seront précisés avant l’été et, comme je me suis réservé la primeur de ce teasing, je laisserai volontiers le CNM y revenir prochainement. Notre ambition commune est en tout cas de jeter les bases d’une démarche partenariale au bénéfice de tous les secteurs contribuant à la diversité musicale.

Dernier sujet de régulation plus prospectif : la distribution de la radio sur internet. Le Royaume-Uni a adopté une réglementation protégeant les radios contre les distributeurs tentés de leur faire payer la reprise de leur signal. Avec les enceintes connectées et les systèmes embarqués, un tel dispositif a du sens. Nous sommes prêts à y travailler, dans la perspective de la révision de la directive SMA, qui pourrait aussi être l’occasion d’étudier l’opportunité d’une extension du dispositif des services d’intérêt général à la radio.

Face à toutes ces transformations, nous devrons tous faire preuve d’audace et d’imagination, deux qualités qui font partie de l’ADN de la radio et qui doivent nous permettre d’envisager son avenir avec confiance. Une confiance à la hauteur de celle que les Français lui accordent.

Je laisse maintenant la parole à Romain et vous souhaite de très fructueuses Assises.

 

Intervention de Martin Ajdari

  • PDF
  • 121.47 Ko
  • en français