Présentation du rapport d’activité 2024 de l’Arcom - Audition de Martin Ajdari, président de l'Arcom, devant la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les députés,
Merci de m’inviter à m’exprimer pour cette audition dont l’objet, au terme de la loi, est de vous présenter le rapport d’activité 2024 de l’Arcom. Mais ce sera bien sûr aussi l’occasion d’évoquer les enjeux actuels. Et je vous remercie particulièrement de votre attention dans ce contexte politique dont je mesure combien il doit occuper vos esprits.
Je structurerai ce propos introductif en deux temps : un temps consacré aux missions historiques de l’Arcom, en particulier la gestion du spectre hertzien (TNT et radio), le soutien à la création et le pluralisme. Et un second temps consacré à la régulation du numérique, l’année 2024 ayant été marquée par l’entrée en vigueur de textes majeurs.
I/ Quelques mots d’abord sur la plateforme TNT qui a connu, en 2024, d’importantes évolutions, avec le lancement d’un appel à candidatures d’une ampleur inédite, portant sur 15 chaînes dont 10 gratuites.
Au terme de cette procédure, l’Arcom a autorisé, le 11 décembre 2024, deux nouvelles chaînes – T18 et Novo 19 – et n’a pas renouvelé deux autorisations, celles de C8 et de NRJ12. C’est une décision dont je n’ai pu que mesurer l’émoi qu’elle a suscité, les débats également, mais je veux à nouveau souligner qu’elle a suivi la procédure et les critères fixés par la loi, le collège s’étant fondé sur une appréciation des mérites respectifs des candidatures, de l’expérience des sortants, leurs éventuels manquements, et de l’intérêt des nouveaux projets.
Ces mouvements sur la TNT gratuite, couplés à la décision du Groupe Canal+ de se retirer de la TNT payante, ont conduit l’Arcom à adopter une nouvelle numérotation déployée le 6 juin, avec le double souci de la continuité de la numérotation et de la lisibilité, dans l’intérêt du public, avec la création d’un bloc de chaînes infos. Un bloc qui a fait la preuve de sa pertinence (avec des audiences en progression pour les 4 chaînes, de même que pour France 4 et LCP).
L’année 2024 a aussi été marquée par la poursuite d’une dynamique économique positive pour les médias audiovisuels et pour le soutien qu’ils apportent, sous le contrôle de l’Arcom, à la création audiovisuelle.
Les obligations de financement dans la production audiovisuelle sont ainsi passées de moins de 900 M € en 2019 à plus d’1,2 Mds € en 2024 (soit + 40 %), grâce à la fois à la hausse de la contribution des chaînes privées, à l’engagement accru de France Télévisions (440 millions) et à l’intégration réussie, accompagnée par l’Arcom, des Netflix, Disney+ et autres Amazon (qui représentent aujourd’hui 1/4 des obligations de financement de la production audiovisuelle). La directive SMA de 2018 signe ainsi son succès.
Mais ce cycle positif se retourne, avec un recul sensible des recettes de publicités des diffuseurs TV (- 5 % au premier semestre), à un ralentissement de la dynamique d’abonnement aux services de streaming et à la diminution sensible dès 2025 de la subvention versée à France Télévisions, une tendance qui semble devoir s’accentuer en 2026. C’est ainsi tout le secteur de la création audiovisuelle (fiction, documentaire, animation) et, plus largement, l’ensemble de l’économie de la télévision, de sa capacité à produire de l’information et des programmes de qualité, qui est en passe d’être fragilisé. Je crois que nous devons tous en être conscients.
L’autre grand média hertzien, la radio, voit quant à elle sa diffusion traditionnelle (linéaire et analogique) contestée par l’écoute sur smartphone, ce qui nécessite de la faire évoluer à travers le déploiement du DAB+. Le Livre blanc de la radio, publié en juin 2024 par l’Arcom, a permis d’amorcer une dynamique prometteuse.
Mais les progrès en termes de notoriété et d’équipement en DAB+ demeurent trop lents, et nous avons décidé d’en renforcer le pilotage, lors des « Assises de la radio » le 5 juin dernier, avec l’association « Ensemble pour le DAB+ ». D’autres chantiers, relatifs à l’assouplissement des mentions légales ou à l’exposition de la musique, sont également engagés.
Dernier élément notable en 2024 concernant nos missions historiques : le pluralisme de l’information, avec la décision du Conseil d’État qui a imposé à l’Arcom d’étendre son contrôle aux opinions exprimées par l’ensemble des intervenants, chroniqueurs ou invités, alors qu’il était jusque-là limité à l’équilibre des temps de parole des personnalités politiques.
À cette fin, l’Arcom a adopté, le 17 juillet 2024, une délibération pour préciser ce nouveau contrôle, qui vise à s’assurer de « l’absence de déséquilibre manifeste et durable dans l’expression des courants de pensée », mesurée à l’aune de trois critères : la variété des thèmes traités, la diversité des invités et la pluralité des points de vue exprimés. J’insiste sur le fait qu’il n’a jamais été question dans l’esprit du régulateur de ficher ou d’attribuer une opinion fixe à un intervenant. En revanche, il s’agit de vérifier, si sur un thème, à un moment donné, les opinions qui s’expriment traduisent une absence de déséquilibre manifeste et durable.
C’est une nouvelle doctrine, que le Conseil d’État a demandé à l’Arcom de faire respecter dans le silence de la loi. J’ai souhaité en évaluer la mise en œuvre.
Il ressort des consultations avec les éditeurs de TV et de radio concernés que la majorité d’entre eux sont en mesure d’assurer un suivi des invités et des thèmes traités, mais qu’ils rencontrent en revanche des difficultés pour mesurer la diversité des points de vue et opinions. C’est de fait un domaine nouveau dans lequel nos modalités et outils de contrôle vont devoir s’affiner au gré des saisines.
II/ J’en viens au second temps de ce propos, la régulation numérique, avec des évolutions majeures en 2024 pour les compétences de l’Arcom. À commencer bien sûr par sa désignation (dans la loi SREN) comme coordinateur français du règlement européen sur les services numériques (RSN), entré en vigueur très récemment, en 2024.
La mission de l’Arcom, à ce titre, n’est pas d’intervenir sur les contenus eux-mêmes, mais consiste à s’assurer que les plateformes installées en France respectent les obligations de moyens fixées par le RSN, en matière notamment de ressources de modération, de simplicité des signalements pour les utilisateurs ou de transparence de leurs algorithmes.
L’Arcom contribue par ailleurs à la régulation des très grandes plateformes (Instagram, TikTok, Facebook, X, YouTube), en assurant un suivi de proximité et en participant aux enquêtes que conduit la Commission européenne. L’Arcom a également vocation à coopérer avec ses homologues européens lorsque des contenus problématiques sont hébergés sur des plateformes établies dans un autre État membre. C’était d’ailleurs le cas de la plateforme Kick qui accueillait la chaîne de Jean Pormanove, nom de ce streamer dont le décès, en direct, a suscité une émotion très vive et légitime.
J’ai entendu beaucoup de critiques sur le fait que l’Arcom aurait laissé ce programme être diffusé malgré son caractère choquant, mais nos missions dans le domaine numérique sont très différentes de celles que nous exerçons en matière audiovisuelle où, confrontés à des éditeurs qui ont une responsabilité éditoriale, nous sommes habilités à intervenir sur leurs programmes.
En matière numérique, c’est à la police (Pharos) ou à la justice d’apprécier la légalité des contenus et d’en demander le retrait. La justice s’était d’ailleurs saisie de cette affaire à la fin de l’année 2024 sans y donner suite, à ce jour.
Ce drame doit néanmoins nous inviter à renforcer nos coopérations entre administrations, avec la société civile, avec la police et la justice, pour améliorer notre capacité collective de veille et d’alerte sur la multitude de contenus circulant en ligne et être plus réactifs. C’est à cette fin que nous allons réactiver en octobre l’Observatoire de la haine en ligne, créé par la loi Avia en 2020, et qui avait été mis en veille depuis l’adoption du RSN. Je veillerai aussi à ce que l’Arcom y consacre plus de moyens.
Dans ce même objectif de mobilisation et de démultiplication des outils de régulation du RSN, nous avons accéléré la désignation des « signaleurs de confiance », ces acteurs, le plus souvent associatifs, qui ont vocation à signaler aux plateformes des contenus illicites (qu’il s’agisse d’arnaques en ligne, de contrefaçons ou des messages haineux). Et qui bénéficient d’une priorité de traitement.
Après l’association « e-Enfance », spécialisée dans la protection de l’enfance en ligne, désignée en novembre 2024, ce sont 7 nouveaux signaleurs qui l’ont été en 2025 dans des domaines aussi divers que la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, la défense des consommateurs, la lutte contre le piratage, les cyberviolences ou la prévention des addictions. Ces associations sont des acteurs clés de la régulation du numérique (au même titre que les chercheurs). Il faut aussi qu’elles puissent être correctement financées. Je crois que ce sera une des clés de l’efficacité du RSN dans les prochains mois et les prochaines année.
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À travers la loi SREN, toujours elle, vous avez par ailleurs souhaité doter l’Arcom de nouvelles compétences dans deux champs emblématiques, dont je souhaite vous rendre compte :
1er champ : la possibilité de faire cesser la diffusion de médias russes faisant l’objet de sanctions directes ou indirectes. Ce qui nous a permis, en 2025, d’obtenir l’arrêt de deux chaînes par Eutelsat, et le déréférencement ou le blocage de 19 sites officiels de médias russes. Ce travail va continuer.
2e champ : l’interdiction effective de l’accès des mineurs aux sites pornographiques, devenue possible après la publication par l’Arcom à l’automne 2024 du référentiel imposé aux systèmes de vérification de l’âge, et la publication par le gouvernement des textes d’application de la loi début 2025. Tous les sites contrôlés par l’Arcom – soit une douzaine ayant l’audience la plus importante en France – ont soit été bloqués (pour l’un d’entre eux), soit ont décidé de fermer leur service en France (Aylo), ou pour tous les autres, se sont mis en conformité. Nous sommes certes loin d’avoir tout réglé, car il reste les sites de moindre audience (qui feront l’objet d’une prochaine vague de contrôles) et des risques de contournement par les VPN. Mais la volonté du législateur et l’action du régulateur ont permis de changer la donne.
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Je m’arrête là concernant le bilan de 2024 et ses suites en 2025 pour évoquer nos chantiers prioritaires en cette rentrée.
Le premier, c’est la protection des mineurs en ligne. Le 25 septembre, l’Arcom a présenté une vaste étude qui met en évidence la fréquence et la précocité avec laquelle enfants et ados sont exposés à des risques multiples liés aux usages en ligne, tels que l’hyperconnexion ou le harcèlement.
Nous en tirons deux priorités :
1/ d’abord, garantir la stricte application de l’âge minimum de 13 ans prévu par les CGU des plateformes pour l’accès à leurs services, en attendant l’issue des débats sur la majorité numérique ;
2/ ensuite, s’assurer que les plateformes ne proposent aux mineurs que des services expurgés de tout ce qui est susceptible de les mettre en danger (l’incitation à l’extrême maigreur, les contenus choquants, les fonctionnalités addictives comme le « scrolling » infini, les contacts avec des adultes mal intentionnés).
Nous auditionnerons les principales plateformes cet automne pour vérifier leurs progrès sur toutes ces questions, et identifier puis désigner les bons comme les mauvais élèves. Car le statu quo n’est pas possible.
Deuxième chantier : celui de l’évolution de la TNT (la télévision numérique terrestre) à court comme à long terme. Pour le court terme, le collège a décidé de ne pas réaffecter pendant deux ans les fréquences libérées par l’arrêt de la diffusion hertzienne du Groupe Canal+, le marché publicitaire ne nous semblant pas pouvoir accueillir de nouveaux entrants.
Et nous voulons profiter de ce délai pour donner au secteur des perspectives de long terme sur l’avenir de la diffusion hertzienne, sur ses scénarios de modernisation technique, sur son modèle économique, et sur l’évolution de la régulation audiovisuelle.
Troisième grand enjeu : le service public de l’audiovisuel, qui occupe une place essentielle dans notre fonctionnement démocratique, par son rôle en matière d’information nationale, locale et internationale, de diversité culturelle, par sa présence territoriale et ultramarine.
Un service public dont l’Arcom a pour mission de garantir l’indépendance et l’impartialité, ce qui l’a conduit à auditionner le 17 septembre les présidentes de France Télévisions et Radio France et, dans un contexte de défiance à l’égard des médias comme des institutions en général, et qui n’est pas propre à la France, il nous a semblé utile d’approfondir les travaux auxquels le rapport des États généraux de l’information (EGI) nous invitait déjà il y a an, sur la notion d’impartialité du service public.
L’objectif de cette démarche n’est pas de mettre en cause le service public mais de conforter la confiance des citoyens dans leur service public, en cohérence avec les objectifs du règlement européen sur la liberté des médias, dont le futur projet de loi relatif à la protection et au développement du droit à l’information sera la traduction en France.
Je vous remercie de votre attention.
Intervention de Martin Ajdari
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