Discours de Roch-Olivier Maistre en ouverture du Grand débat politique du Festival de la fiction de La Rochelle

Publié le 15 septembre 2023

  • Intervention publique

Seul le prononcé fait foi

Mesdames et messieurs les présidents,

Chers amis,

Je suis très heureux de vous retrouver ce matin à l’occasion de ce traditionnel rendez-vous du Grand Débat et je tiens à remercier les organisateurs de me donner l’occasion d’introduire nos échanges par quelques mots d’ouverture. Je voudrais d’abord partager avec vous quelques données structurantes pour souligner les profondes transformations en cours de notre paysage audiovisuel et numérique. Ensuite, pour engager le débat qui va suivre, je voudrais insister sur quelques-uns des enjeux qui résultent de ces bouleversements, tant pour nos acteurs nationaux que pour les pouvoirs publics.

S’agissant des transformations en cours, je serais tenté de parler d’une triple révolution

Première révolution : celle des usages

Elle s’exprime d’abord par la baisse tendancielle du temps passé à regarder la télévision : - 17% entre juin 2020 et juin 2023 pour arriver à 202 minutes par jour, d’après les dernières données de Médiamétrie. Si cette durée reste très significative, elle s’inscrit dans un mouvement de contraction structurel également constaté en Europe.

Cette tendance est particulièrement marquée pour les jeunes générations. La baisse de la DEI des 15-49 ans a été de -29% entre 2008 et 2022 et l’âge moyen des téléspectateurs est passé de 47 à 57 ans sur la même période.

Alors que chaque foyer français dispose en moyenne de près de six écrans, ces chiffres révèlent des usages fortement différenciés entre générations.

Autre évolution majeure, plus de 50% des foyers français sont désormais abonnés à au moins un service de vidéo à la demande par abonnement, avec un marché dominé par les 3 grandes plateformes américaines Netflix, Amazon et Disney. A noter toutefois un tassement de leurs bases d’abonnés depuis la fin 2022, qui pèse sur leur équilibre économique en raison du poids de leurs investissements dans les contenus et dans la technologie.

Dernière évolution notable des usages, l’ancrage très fort de la fréquentation des réseaux sociaux, auxquels les Français consacrent en moyenne une heure chaque jour. 2/3 des moins de 15 ans se rendent quotidiennement sur Snapchat, suivi de près par Tiktok et Instagram. Pour beaucoup de Français aujourd’hui (le tiers), Internet est devenu la première source d’information.

Deuxième révolution : celle des éditeurs

Première observation, la structure du paysage audiovisuel est aujourd’hui bouleversée par la place occupée par les plateformes internationales. Elles constituent pour nos groupes nationaux une concurrence croissante sur les œuvres et les talents, en audiovisuel comme en cinéma, et donc sur les coûts. Le paysage connaît aussi des mouvements de consolidation, observés en particulier aux Etats-Unis, avec des opérations majeures de rapprochement (Disney-Fox, Warner-Discovery, Amazon-MGM etc). Il est d’ailleurs permis de penser que ce climat d’hyper-concurrence est loin d’être stabilisé et que d’autres opérations sont probables.

Seconde observation, lourde de conséquence là aussi pour les éditeurs gratuits, la publicité numérique capte plus de la moitié du marché publicitaire des médias et la majeure partie de la croissance des revenus publicitaires.

En 2022, les revenus des plateformes numériques ont affiché une croissance vigoureuse, alors que le niveau des revenus publicitaires des médias traditionnels était toujours inférieur à celui de 2019. Les deux tiers des recettes publicitaires numériques sont captés par trois plateformes non européennes : Google-Meta-Amazon. Il y a là un enjeu majeur de préservation du modèle de financement de nos opérateurs.

Troisième révolution : celle des vecteurs de diffusion.

La réception TNT, qui a longtemps dominé notre paysage, est aujourd’hui vigoureusement concurrencée. En recul lent mais constant, elle n’est désormais le seul mode d’accès à la télévision que pour moins de 20% des foyers.

A l’inverse, les téléviseurs connectés sont en croissance très rapide : 88% des foyers équipés d’un téléviseur avaient une smart TV fin 2022. 27% de ces foyers ont un boitier TV connecté (+5 points en un an) et 10% d’entre eux disposent d’une clé Chromecast de Google. La distribution OTT vient ainsi bousculer chaque jour un peu plus le modèle historique de la box et l’écran de télévision, qui conserve une place centrale dans l’économie générale du secteur, se transforme de manière inéluctable en magasin d’applications, le plus souvent payantes : la consommation de YouTube par ce biais représente aujourd’hui près de 30%.

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Cette triple révolution impose de profondes réorientations stratégiques tant pour nos acteurs que pour les pouvoirs publics

En premier lieu, le statu quo n’est pas une option possible pour les éditeurs, qu’ils soient publics ou privés. Tous sont engagés dans un indispensable mouvement de réorientation stratégique.

Ils doivent d’abord aller chercher les publics là où ils sont, ce qui impose de renforcer leur stratégie numérique et éditoriale.

La nécessité d’investir dans de nouveaux supports et contenus numériques est croissante pour tous les groupes audiovisuels : services à la demande financés par la publicité ou par des abonnements, chaînes gratuites et diffusées en streaming, plateformes web et applications mobiles, investissement dans des contenus originaux dédiés au numérique, ou qui peuvent être diffusés à la fois en linéaire et en non-linéaire.

Les groupes audiovisuels sont aussi engagés dans une révision de leurs stratégies de distribution. Il leur faut d’un côté accompagner l’évolution des usages et, de l’autre, consolider leur modèle économique. Dans ce mouvement, la question de l’accès aux données de consommation et de leur valorisation est devenue cruciale.

De leur côté, auteurs et producteurs doivent également s’adapter à ce nouveau paysage en répondant à la demande tant des groupes nationaux que des services de streaming internationaux en matière de diversification des écritures et des formats. Je veux ici saluer la vitalité de la création française, qui constitue un formidable atout pour notre pays, et le dynamisme de nos opérateurs nationaux.

En second lieu, la réorientation stratégique vaut aussi pour les pouvoirs publics, pour mieux accompagner ces transformations

C’est d’abord vrai au niveau européen, avec une double ambition : d’une part, corriger les asymétries réglementaires qui demeurent entre les acteurs audiovisuels traditionnels et les services internationaux de médias audiovisuels à la demande ; d’autre part, défendre le modèle culturel européen, ses spécificités comme son financement. Ces deux objectifs ont irrigué l’action de l’actuelle Commission, avec les directives « service de médias audiovisuels » et « droits d’auteurs », mais aussi les règlements sur les services et les marchés numériques ainsi que le projet de règlement sur la liberté des médias.

Au niveau national, la régulation s’est elle aussi adaptée pour mieux répondre aux évolutions du secteur : c’est le sens de la création de l’Arcom au 1er janvier 2022, avec une extension de son périmètre d’intervention aux plateformes numériques. L’Autorité contrôle ainsi le respect, par les SMAD internationaux, de leurs obligations en matière de financement de la création française et européenne.

Elle dispose également de nouveaux moyens prometteurs pour lutter contre le piratage. Nous veillons aussi au respect des clauses relatives aux droits d’auteur dans les contrats signés avec les producteurs et suivons avec attention le développement de l’intelligence artificielle ainsi que son impact sur la création.

Par ailleurs, des chantiers d’envergure sont devant nous, comme celui de la bonne exposition de nos acteurs nationaux et de leurs programmes dans le nouvel univers des interfaces d’accès aux services audiovisuels. C’est tout le sujet des « services d’intérêt général », qui participe de la préservation de notre souveraineté culturelle. Nous délibérerons prochainement sur ce dossier.

Mais place maintenant au débat ! Merci de votre écoute.

 

Le discours de Roch-Olivier Maistre

Un paysage en pleine transformation : quelques tendances récentes